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Papiers
5 avril 2008

Mr Toutlemonde

« De toute façon, les goûts et les couleurs… » Oui, ils sont tous dans la nature. Et alors qu’on ne nous a jamais demandé notre avis, il faudrait faire avec. Il serait même interdit d’en parler puisque les goûts et les couleurs, c’est bien connu, ça ne se discute pas. Il semble donc devenu impossible de rejeter aujourd’hui un auteur, un courant artistique ou un style musical sans atteindre dans leur chaire celles et ceux qui y voyaient une source de plaisir et d’intelligence. Je ne parle pas de l’artiste. Lui il s’en fout. Je suis sûr qu’il ressent même du plaisir à la lecture d’une critique négative, puisque finalement elle lui rappelle qu’il est connu. Je parle de Mr Toutlemonde. De celui qui dans les soirées pollue mon espace sonore en foutant le dernier album des Enfoirés ou en répandant ses diarrhées verbales sur Dantec, Houellebeck ou de je ne sais quel autre Povmec, griffonneur de papier au style anémié qu’il kiffe grave. Dés lors, si je me surprends à dire  « putain mais qu’est-ce que c’est que cette merde ?? », sans savoir que cette merde c’est le dernier album des Enfoirés et qu’elle paye des tentes aux squatteurs des ponts de Paris, il faut que je m’attende à passer pour un espèce de gros con intolérant, égoïste et donc antipathique.

Passer pour antipathique auprès d’un fan de Pascal Obispo, de Muriel Robin ou de n’importe lequel des membres du parti des vertueux des Resto du Cœur ne me dérange pas. Offusquer Pascal Obispo en personne m’amuserait même beaucoup. Mais hélas, ce n’est pas comme si mon avis avait de l’importance pour lui, donc la question n’est pas là. C’est passer pour quelqu’un d’intolérant auprès de l'une de ces personnes qui me gène davantage. Déjà, les Resto du Cœur commence méchamment à me gonfler avec leur sirop de bonheur. Voir la clique des promoteurs d’albums indigents se réunir aux comiques de la génération carambar m’indisposent. Et les voir monopoliser la case générosité dans l’espace public encore plus. Ils donnent un soir de salaire aux SDF, et cela devrait les dérober à toute forme de critique les autres soirs de l’année. Et puis quoi encore ?

« Qu’est-ce que tu fais toi pour pouvoir critiquer ? » dirait Mr Toutlemonde. Rien. Justement, je subis. Et face à ce genre de réponse, il est peut-être vain de vouloir argumenter. Au-delà de la confusion qui s’opérait dans la tête de Mr Toutlemonde entre les intentions louables des Enfoirés (quoique…) et la qualité médiocre du produit fini, j’en venais à douter de l’utilité de dépenser de l’énergie pour défendre l’idée qu’il existe une liste de critères objectifs définissant le Beau. Et qu’il y donc des gens avec des goûts de chiottes. Et que j'aimerai ne pas être obligé de faire avec quand ses gens me les impose sous le nez. Je manque de tolérance, ainsi soit-il.

Alors la tolérance est-elle vraiment une vertu ? La question semble inutile car la réponse évidente : oui. Envisager qu’il puisse en être autrement, alors que notre société l’assimile au besoin de reconnaissance des droits universels de l’homme et au respect des libertés fondamentales, constitue en soit une prise de position difficile à tenir en public. C’est comme une course à handicap. J’aurais trop peur de manquer d’armes conceptuelles et de céder devant les lapalissades du premier enfonceur de portes ouvertes venu.

Mais j’ai chaque jour davantage l’impression que le terme de tolérance se détache de la grande idée qu’il prétend recouvrir. Tolérer la différence d’être ou de penser, c’est finalement la tenir à distance. Et une distance assez raisonnable pour que cette différence ne nous atteigne plus. On la laisse vivoter avec une note de condescendance et d’indulgence tant qu’on peut la maintenir à l’écart. Je me fais une autre idée du respect d’autrui et de sa liberté. Et ce n’est pas parce que je rejette ses goûts que je souhaite les voir disparaître. C’est bien parce que la différence est si enrichissante qu’il faut s’y frotter et parfois même lui tordre le cou. Lorsqu’une idée, une saveur, une couleur monopolise l’espace, elle en expulse toutes les autres. La critiquer relève de l’intolérance uniquement car elle est devenue l’idée dominante. Mais c’est précisément cette idée dominante qui est en train de façonner un bloc monolithique, sans aspérité. Le paradoxe : la tolérance est devenu un concept mou au nom duquel il sera bientôt impossible d’exprimer une différence… Je me réjouis qu’il y ait eu des hommes et des femmes pour parfois ne pas tolérer.

Ces derniers temps rien ne m’énervait. Rien ne m’agaçait. Ma plume était émoussée et mon inspiration tarie. Face aux pages blanches de mon traitement de texte préféré, je restais sans idée sombre, calme et apaisé, incapable d'écrire quelque-chose de méchant. Il aura suffit d’un Mr Toutlemonde pour que je sente à nouveau l’acidité sur ma langue. Je lui dédie donc cette mise en abîme sans saveur ni talent qui lui ira si bien.

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