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Papiers
27 octobre 2007

Dis moi ce que tu écoutes, je te dirais qui tu es

« Quelques-unes de mes chansons préférées : Only love can break your heart de Neil Young, Last night I dreamed that somebody loved me des Smiths, Call me d’Aretha Franklin […] J’ai écouté certaines de ces chansons une fois par semaine en moyenne (c’est-à-dire trois cent fois le premier mois, et ensuite une fois de temps en temps), depuis l’âge de seize ans, ou dix-neuf, ou vingt et un ans. Peut-on en sortir sans une blessure quelque part ? Comment ne pas devenir ainsi le genre de type qui tombe en miettes quand son premier amour tourne mal ? Quelle fut la cause, et quel fut l’effet ? La musique, ou le malheur ? Est-ce que je me suis mis à écouter de la musique parce que j’étais malheureux ? Ou étais-je malheureux parce que j’écoutais de la musique ? Tous ces disques, ça ne peut pas rendre neurasthénique ?

Les gens s’inquiètent de voir les gosses jouer avec des pistolets, les ados regarder des films violents ; on a peur qu’une espèce de culture du sang ne les domine. Personne ne s’inquiète d’entendre les gosses écouter des milliers – vraiment des milliers – de chansons qui parlent de cœurs brisés, de trahison, de douleur, de malheur et de perte. Les gens les plus malheureux que je connaisse, sentimentalement, sont ceux qui aiment la pop music par-dessus tout ; je ne sais pas si la pop music est la cause de leur malheur, mais je sais qu’ils ont passé plus de temps à écouter des chansons tristes qu’à vivre une vie triste. A vous de conclure. » 

Ce texte est un extrait de Haute Fidélité, de Nick Hornby. Sans être totalement d’accord avec ce qu’il écrit, je trouve néanmoins l’observation bien sentie. Elle rejoint en tout cas une conviction profonde : on peut connaître quelqu’un en observant les cd qu’il possède chez lui. Pas forcément grâce à l’analyse des disques qu’il a acheté et que donc, sans doute, il écoute. Mais aussi par exemple à sa façon de les ranger : par ordre alphabétique, par période, par style, par un classement personnel incompréhensible pour tout autre personne que le propriétaire lui-même... Bref, une anodine étagère croulant sous les albums en dit plus sur quelqu’un que bien des phrases, pour peu que l’on sache observer.

Pour cette raison, j’ai la « mauvaise » habitude de fouiner chez les gens, en quête des cd qu’ils possèdent. Ca remonte à loin. Déjà enfant, alors que les tapis imprimés du salon constituaient pour ma collection de petites voitures un espace de jeu idéal, j’ai rapidement tiré les vieux vinyles de mon père des étagères que j’avais sous les yeux. Et depuis, cette envie incoercible de farfouiller dans l’intimité sonore de mes proches et moins proches. Déjà parce que j’aime tellement la musique qu’il serait difficile d’envisager un deuxième rendez-vous avec une fille qui collectionne les albums de Tina Arena, mais ignore Lou Reed ou Hendrix. Ensuite parce qu’un pote qui n’a pas le moindre cd chez lui est forcément quelqu’un dans la détresse qu’il faut aider, enfin parce qu’avec Turn ! Turn ! Turn ! de The Byrds, Sticky Fingers des Rolling Stones, Pet Sounds des Beach Boys, Marquee Moon de Television ou It’s a Wonderful Life de Sparklehorse, je n’aurais pas à faire semblant de passer une bonne soirée. Certains dévisagent des pieds à la tête, d’autres s’intéressent à la bibliothèque, d’autres encore se contentent d’observer silencieusement, moi je m’approche discrètement des cd et y passe au crible les artistes regroupés sur la colonne.

    Aussi lorsque s’y trouve Forever Changes du groupe Love, je sais déjà qu’une amitié profonde et sincère risque de naître. Et pour peu que l’inspiré propriétaire de l’album ne soit pas un rockeur has been aux cheveux gras sentant la clope froide, je ne suis pas à l’abri de tomber éperdument amoureux. Il y a des albums comme ça… Peut-être ami lecteur trouves-tu qu’il y a là une certaine forme de snobisme à considérer cet album méconnu comme le signe le plus éclatant de l’humanité d’une personne. Il y a de ça quelques années, moi aussi j’étais ignorant. Pendant vingt quatre ans pour être exact. Vingt quatre années sans connaître l’existence d’une chanson comme Alone again or. Cette pensée me rendrait presque triste. L’histoire du rock est cruelle. Elle oublie dans sa traîne certains de ses diamants les plus brillants. Ce disque créé en 1967, en pleine Guerre Froide est en fait le testament sonore d’Arthur Lee, personnage obnubilé par le conflit et hanté par l’idée d’une issu fatalement apocalyptique. Il se shoote donc toute la journée et pendant ses intermèdes de lucidité façonne des joyaux de rock psychédélique : The Red Telephone, Old Man… autant de chansons imparables. Mais il y en a une qui s’élève au dessus de toute les autres, avec ses arrangements de cordes et de cuivres méxicains : Alone Again Or. La pop music peut aussi remettre du baume au cœur.

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